La Maternelle by Léon Frapié

La Maternelle by Léon Frapié

Auteur:Léon Frapié [Frapié, Léon]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-01-11T05:00:00+00:00


Avant la fermeture, quand les maîtresses sont parties, j’essaie mes chances :

– Qui est-ce qui veut s’en aller avec moi et que je sois sa maman ?

Hélas ! personne ne se précipite dans mes bras.

Je m’habitue aux déboires. Dans les premiers temps, le soir, au milieu du préau, sous le gaz, assise sur un banc trop bas en face de trois ou quatre bambins, je conversais naïve et ignorante, je tâchais d’accorder ma voix à la douceur et à la pureté enfantines, je modulais une intonation chantante, jolie, délicate :

– Dis donc, Léonie, maman va venir, tu vas rentrer à la maison, il y a une table ronde, hein, je suis sûre ? Et la soupe est sur le fourneau…

À mesure que je parlais, Léonie Gras, une roussotte frisée comme un caniche, faisait : non, non, de la tête, souriant avec des yeux malins, telle une enfant que l’on taquine par une offre dérisoire : « Donne-moi tes dragées, je te donnerai une poignée de cailloux ». Elle me souffla sur le nez comme sur une bougie, par dédain, puis s’expliqua :

– Non ! on mange chez l’troquet avec maman.

Elle ponctua cette déclaration d’un avancement de menton : « Voilà, ça t’ennuie, tu es jalouse ! »

– Ah ! fis-je interloquée, mais après tu vas faire dodo ?

– Non, maman boit avec des gens et moi je liche les verres.

Et encore ce coup de menton qui signifie en langage de Ménilmontant : « Voilà, ma vieille, ça te la coupe ! »

Ensuite ce fut Bonvalot, blafard, les pommettes trouant la peau, le cou détiré. Il était en retenue.

– Tu aimes bien ta mère ?

Signe de tête négatif.

– Comment ! tu n’aimes pas ta mère ?

– Non, a’ m’bat. (Brèche-dents, il crache à distance, en soulevant à peine les lèvres.)

– Et ta tante, que j’ai vue une fois, tu l’aimes ?

Hochement négatif.

– A’ m’bat.

– Et ta grande sœur ?

Même jeu.

– A’ m’bat.

Il crachote froidement, d’un air de millionnaire qui regrette mais ne saurait vous accorder ce que vous demandez.

– Et ton père ?

– Y bat maman… il lui jette les assiettes à la tête, elle lui rejette les morceaux.

– Et moi, tu ne m’aimes pas non plus ?

Silence. Il crache moins loin. Puis, un signe furtif, entre nous deux seulement, indiquant que, tout de même, il a un sentiment pour moi.

– Tu m’aimes parce que je te donne des bonbons ?

– Non.

– Parce que je t’apporte ta gamelle, je te débarbouille ?

– Non.

– Pourquoi alors ?

Il me regarde, mécontent, rechigné, puis, les paupières baissées, il dit sans amabilité :

– Parce que y a des images dans tes yeux.



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